Le Poison et le remde

Poison pour Platon et les pres de lEglise, catharsis pour Aristote, le thtre occidental trouva plus facilement une place dans la vie quotidienne de la cit que dans la rflexion des lites intellectuelles. Pendant plus de deux mille ans, loin des applaudissements et des murmures des spectateurs, se noua ainsi une longue histoire des mots, solidaire dune histoire de la pense car le discours sur le thtre fut aussi, tout au long des sicles, discours sur lhomme et sa place dans le monde, discours sur la mimesis, sur le savoir et le pouvoir des mots. Au cours de la premire moitie du dix-huitime sicle, le dbat sur la lgitimit des spectacles fait apparatre les permanences, les ruptures, les ambiguts dune poque partage entre la vrit des thologiens et celle des philosophes, entre un modle asctique dhumanit et une aspiration a un solide bonheur terrestre, entre un savoir fonde sur les textes et une raison fille de lexprience. Contempteur des sciences et des arts, Rousseau ajoute encore la complexit de ce dbat. Si, en Italie, la prudence a lgard de lEglise et des valeurs chrtiennes fut plus grande quen France, cette polmique rvle nanmoins, dans les deux pays, un dix-huitime sicle bien-pensant, soucieux de thtre moral et vertueux, ce que nattestent pas, on le sait, dautres textes de la mme priode. Querelles ou les mots rgnent en matres, la querelle sur la lgitimit du thtre attire donc galement lattention sur lopacit que pouvait avoir le document crit a cette poque: opacit a lgard des faits, des ides, mais aussi des interrogations trangres a la culture rhtorique laquelle il appartenait souvent.