Le Rve laque de Louis-Sbastien Mercier entre littrature et politique

Lapparition de lhomo laicus, aprs lhomo illuminatus, marque la dernire tape dans le processus critique auquel se soumit en Europe la civilisation judo-chrtienne partir de la Rforme. Le passage de la foi en la Raison la critique de la raison pure a t lextrme conqute, mais combien fragile, que lge des Lumires a lgu lhumanit. De ce processus de lacisation de la pense, Louis-Sbastien Mercier doit tre considr plein titre comme lun des pionniers, et non seulement parce quil fut parmi les premiers saluer le grand effort philosophique dImmanuel Kant, qui venait de restituer lhomme sa place au centre de lunivers. Avec son antidogmatisme esthtique, son rejet de lEtat thique et ses convictions antiprohibitionnistes (sur la presse, sur la cration artistique, sur la langue, sur le loto, sur le luxe, sur la prostitution), Mercier offre autant de rponses lgislatives typiquement laques: et pour le Royaume de France-Rpublique Franaise, et pour la Rpublique des Lettres. Le parcours travers les crits de Mercier sur le thtre et la littrature, le pote et le lecteur, lcriture et la lecture, se rvle, donc, comme un voyage la dcouverte dune solide pense laque, qui dborde largement la dimension esthtique. Mais cest dans la sphre esthtique que cette pense est enracine, quelle est duque, quelle est mise lpreuve, quelle apprend rsister aux drapages intgristes. Les rves palingnsiques de Sbastien Mercier, la passion et lenthousiasme qui soutiennent son lan rformateur, sexposent tout moment aux dangers des raccourcis de lintolrance et du fanatisme. La faon dont il les a esquivs et dnoncs fait loriginalit et le prix de la leon de Mercier: la mesure comme fidlit la rvolte historique de lhomme, le devoir dingrence de lhomme de lettres dans les affaires de la Cit, l o la Justice est menace, pitine, la conscience que la fin ne justifie jamais les moyens.