Le tombeau de la pauvrete

Ami Lecteur,

J'avais rsolu de ne point rendre ce petit Trait commun, puisque je n'en voulais donner la communication qu' quelques Amis particuliers.

Mais l'aveuglement que j'ai remarqu en plusieurs, qui consommaient le plus liquide de leurs biens, la recherche de cette Pierre Philosophale, dont on parle tant, m'a oblig de leur faire part de ce petit discours, qui leur servira de fanal pour viter les cueils, o sans doute ils feraient naufrage, se laissant emporter inconsidrment aux vagues d'une vaine Esprance, et d'un dsir immodr de devenir riches.

Et pour dire la vrit, je ne crois pas qu'il n'y ait rien de plus ridicule, que telle sorte de gens, qui ayant ou parler du magistre des Sages, ou lu dans quelques livres les grands effets que l'on lui attribue, (dont le moindre est de faire de l'Or et de l'Argent en quantit infinie,) se laissent (suivant l'inclinaison naturelle que les hommes ont d'tre riches) si facilement persuader cette passion, qu'ils quittent toutes choses, pour s'attacher la conqute de la toison d'or, s'imaginant que pour y arriver, il n'y a qu'a btir des fourneaux, brler du charbon, et casser des verres, et se flattent de ce faux raisonnement, que s'il est vrai que d'autres y soient parvenus, ils y pourront aussi parvenir.

Dans cette imagination ils tentent toutes sortes de voies, et se servent de tous les moyens, dont ils se peuvent aviser, pour dcouvrir un si grand secret ? Les uns par la lecture, les autres par le travail.

D'autres qui croient tre plus fins tchent de l'escroquer, (de ceux qui croient le savoir) par des souplesses, des subtilits, et des artifices, (j'en connais plus de ceux-l, que des autres) et aprs par une perfidie inoue, dclament contre ceux dont ils publiaient auparavant les louanges, pour ne se pas tmoigner leurs obligs.

Il y en a que trop de la sorte dans le mondes, surtout un certain personnage, qui par une vanit de persuader qu'il savait quelque chose au-dessus du commun,